Le club des Occidentaux



    
           C’est le même cinéma à chaque réunion, comme à Deauville en 2011 ou à Camp David en 2012 : une station balnéaire ou une résidence de villégiature prise d’assaut ; des policiers sur terre, dans les airs ou sur mer ; des manifestants altermondialistes assez naïfs pour penser jouer les trouble-fête ; et huit chefs d’État et de gouvernement qui discutent de l’avenir économique et géopolitique de la planète. Le fameux « groupe des huit » (plus connu sous le sigle de G8), créé à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, était d’abord un groupe des cinq (États-Unis d’Amérique, Japon, Allemagne de l’Ouest, France, Royaume-Uni). Mais, après un an d’existence, il a paru bon à nos chers dirigeants d’y ajouter l’Italie. Un an plus tard encore, les États-Unis d’Amérique et l’Allemagne de l’Ouest obtenaient l’intégration du Canada à ces réunions. Enfin, en 1997, la toute nouvelle Fédération de Russie obtenait son sésame pour entrer dans ce groupe très fermé.
         
          Pour des raisons assez évidentes, à l’aube du xxie siècle, le G8 apparaissait de plus en plus comme un petit club fermé, celui des Occidentaux (membres de l’Union européenne et/ou de l’OTAN pour la majorité) – blancs de préférence, même si l’on y tolérait les industrieux Japonais. Face au déclin relatif de l’Europe en matière économique et démographique, il semblait judicieux d’inviter à la table des représentants d’Amérique latine, du continent asiatique et du continent africain. Face aux multiples crises jalonnant l’histoire du capitalisme depuis sa création, convier le Brésil, le Mexique, l’Indonésie ou la Chine semblait une bonne idée. Et il est certain que le G20 est bien plus représentatif, en termes démographiques (les deux tiers de la population mondiale voient leurs « droits » défendus) ou commerciaux (les vingt membres permanents cumulent 90% du produit mondial brut et 85% du commerce planétaire). Pour faire bonne mesure, des sommets parallèles sur divers sujets (finances, emploi, agriculture, etc.) ont même été ajoutés à chaque grande rencontre. En apparence, l’idée de Nicolas Sarkozy et Gordon Brown a donc porté ses fruits, pour une meilleure « gouvernance » mondiale.

         Mais plusieurs problèmes de poids se posent tant dans le G8 que dans le G20. Car le premier constat étrange que l’on peut faire à ce sujet, c’est que le G8, pourtant médiatiquement présenté comme obsolète, existe toujours. Cela peut paraître totalement incompréhensible dans la mesure où le groupe des vingt, unanimement salué comme plus moderne et démocratique, reprend l’ensemble du groupe des huit, y ajoute dix pays émergents (Mexique, Brésil, Argentine, Afrique du Sud, Turquie, Arabie saoudite, Chine, Inde, Indonésie ainsi que la Russie, également comptée dans ce groupe) ainsi que deux autres pays industrialisés (Corée du Sud, Australie). Pourquoi maintenir alors les coûteuses réunions du G8, surtout dans un moment où les Occidentaux cherchent à réduire leur train de vie somptuaire, et pourquoi leur donner une telle importance politique et médiatique ? A l’image du président Valéry Giscard d’Estaing, qui se baignait dans une piscine aux côtés du président Gerald Ford en 1975, les Occidentaux aiment à se retrouver entre eux, à organiser des sommets séparés. Un peu comme si l’existence du G20 représentait au mieux une obole envers les nouvelles puissances (et les puissances de demain) mais qu’aucune d’entre elles n’avait une réelle légitimité à gouverner le monde. Le caractère démesuré du dernier sommet du G8 en France, réalisé en 2011, avait une saveur assez particulière. Dans une station balnéaire très chic – qui organise chaque année, et c’est intéressant, un festival du film américain – surtout connue pour ses plages bourgeoises, ses casinos et sa promenade auréolée du nom de mille célébrités du septième art, Nicolas Sarkozy s’empressait de faire valoir le statut de grande puissance de la France. Les vieux pays européens auraient-ils peur de ne plus faire le poids face aux États-Unis d’Amérique, à la Russie et aux pays émergents ? C’est le sentiment que donnent particulièrement la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne lors de ces dernières réunions. Un peu comme si l’on voulait maintenir jusqu’au bout la mainmise des Occidentaux sur la planète.

         Pourtant, à y regarder de plus près, le G20 n’affiche pas une légitimité supérieure. Si l’intégration de certains pays semblait s’imposer naturellement (Brésil, Inde, Chine, Mexique, Indonésie, essentiellement), l’on note rapidement des « bizarreries » aussi frappantes que la décision, en 1976, d’y ajouter le Canada. Ce dernier pays est certes vaste et riche en ressources naturelles, mais son poids démographique est très faible (un peu plus de 33 millions d’habitants) et il ne fait stricto sensu toujours pas partie des huit premières économies du monde (il n’est que onzième au classement des PIB nominaux et quatorzième si l’on tient compte du pouvoir d’achat). D’ailleurs, le G20, contrairement à ce que répètent souvent les médias (et à ce que croient donc massivement les citoyens du monde), n’est pas une réunion des vingt premières économies mondiales. En nous fondant sur le classement des pays par produit intérieur brut nominal pour l’année 2011, réalisé par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, l’on découvre ainsi que l’Arabie saoudite est vingt-et-unième ; l’Argentine, vingt-sixième ; l’Afrique du Sud, vingt-neuvième.
Le choix n’a pas non plus été effectué sur des critères démographiques, puisque plusieurs nations-membres ont moins de cinquante millions d’habitants : l’Argentine excède tout juste les 40 millions ; le Canada dépasse de peu les 30 millions ; l’Arabie ne décolle pas vraiment au-dessus de 20 millions, de même que l’Australie.

Difficile également d’établir des comparaisons sur le dynamisme économique. Cela exclurait d’emblée les vieilles nations occidentales, empêtrées dans une crise assez profonde et qui, dans tous les cas, auront bien du mal à retrouver des taux de croissance phénoménaux de façon durable.

Il ne faut pas non plus chercher du côté du poids géopolitique ou militaire, puisque certains pays qui composent le G20 sont des nains politiques (Japon, Allemagne) ou disposent d’armées très faibles qualitativement et/ou quantitativement (l’Amérique latine est particulièrement touchée par ce phénomène, mais l’on peut aussi penser à l’Afrique du Sud ou, dans une moindre mesure, au Japon).

         Mais alors, comment ont été choisis les pays qui sont venus se joindre d’abord au G5 initial, puis au G8 des années 90, afin de former le G20 ? Les critères de sélection à l’œuvre dans la constitution de cet obscur rassemblement remettent plus encore en cause sa légitimité. Il est intéressant de noter que l’immense majorité des pays présents dans le groupe des vingt est alliée, voire soumise, aux États-Unis d’Amérique. C’est particulièrement le cas des pays européens, plus encore de l’Allemagne et de l’Italie, qui ne disposent pas de l’arme atomique.

C’est évidemment le cas du Japon, dont la question a été réglée par Washington en 1945. Notons également que l’adhésion du Canada en 1976 ne répond qu’à une demande germano-américaine ; en d’autres termes, Ottawa n’a obtenu son billet d’entrée que par son appartenance à l’OTAN et sa soumission docile à l’oncle Sam, soumission renforcée par sa proximité avec la première puissance mondiale.

L’on pourrait aussi le dire de la Corée du Sud, qui devient peu à peu le disciple du Japon dans la tentative de domination totale de l’Asie orientale par les Etats-Unis. Ce n’est pas que Séoul ne représente pas une certaine forme de richesse, mais d’autres pays tout aussi peuplés et plus puissants (comme l’Espagne) auraient pu remplacer le pays du matin calme. A la frontière avec la Corée du Nord et aux portes de la Russie et de la Chine, la Corée du Sud est définitivement un puissant relai d’influence américain. Il en va de même pour le Mexique, nation dont la montée en puissance est rapide (il est par exemple le premier exportateur d’Amérique latine et son dynamisme commercial menace largement le Brésil) et dont la population est importante. Mais le pays des Aztèques est plus que jamais un allié indéfectible de Washington et une arrière-cour d’une grande importance géostratégique.

Cela concerne également l’Australie, qui bénéficie des mêmes atouts et souffre des mêmes faiblesses que son cousin canadien. Canberra et Ottawa se rejoignent sur un point: leur alliance presqu’ethnique à l’oncle Sam. L’Afrique du Sud, bien que métissée, est elle aussi une ancienne colonie britannique et n’a pas pour habitude de s’opposer frontalement à l’hégémonie nord-américaine.

Il est hilarant de noter que deux des trois pays à majorité musulmane présents dans ce groupe (Turquie et Arabie saoudite) soient plus que favorables à la position de Washington. Ils pratiquent par exemple des opération de subversion en quasi permanence contre les ennemis de l’OTAN dans la région (Syrie et Iran, essentiellement). D’ailleurs, l’argument qui consiste à défendre la présence saoudienne dans le G20 par sa manne pétrolière ne tient pas réellement. Dans ce cas, pourquoi ne pas faire entrer à sa place des pays dont les réserves d’or noir sont tout aussi considérables, voire plus, comme l’Iran ou le Venezuela ? Une réponse lancée au hasard : l’oncle Sam ne goûte guère la volonté d’indépendance de Mahmoud Ahmadinejad ou de Hugo Chávez.

Reste le cas des BRIC, de l’Argentine et de l’Indonésie. Pour cette dernière nation, il est difficile de se prononcer étant donné que Jakarta est une puissance régionale plus que mondiale. Son opposition à la tentative d’hégémonie australienne sur l’Australasie pourrait potentiellement en faire un opposant, bien que timide, à l’Occident.

L’Argentine, pour sa part, bénéficie du fait qu’il fallait un deuxième représentant de l’Amérique du Sud et que son économie, très dynamique, est portée par d’importantes richesses naturelles. La politique internationale de Cristina Fernández de Kirchner en fait dans tous les cas un opposant concret à l’OTAN.

Au sein des fameux BRIC (dont j’ai montré dans un précédent article de ce blog à quel point leur unité n’était que de façade), le Brésil et l’Inde, sans être soumis à Washington, ont une position internationale plus que floue. C’est d’autant plus vrai depuis l’accession au pouvoir de Dilma Rousseff, qui a rompu avec le seul intérêt de son prédécesseur : une politique étrangère intelligente. Dans ce groupe, seules la Russie et la Chine sont en fait des opposants quasi systématiques, d’un point de vue géopolitique à l’Occident. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Moscou et Pékin s’investissent davantage dans l’Organisation de Coopération de Shanghai, qui se veut le pendant oriental de l’OTAN.

Vous l’aurez compris : malgré le tour de passe-passe tenté par Nicolas Sarkozy et Gordon Brown, avec l’aval des États-Unis, le G20, comme le G8, est avant tout le club des Occidentaux. Et l’immense majorité de ceux qui ne sont pas occidentaux, au sens culturel ou géopolitique du terme, suivent la politique américaine quasiment trait pour trait. C’est une tentative pour l’oncle Sam de maintenir son hyperpuissance, sous couvert de soutien au monde multipolaire. Sa composition, qui la discrédite grandement, reflète également la marginalisation croissante des pays européens, y compris de ceux qui veulent encore, par coquetterie, jouer dans la cour des grands (France, Royaume-Uni).

Mais il y a un problème plus grave. Si l’Organisation des Nations unies maintient un système d’inégalité entre nations par le principe du Conseil de sécurité permanent, elle a pour mérite de traiter à peu près tous les pays du monde de façon équitable et respectueuse. Son utilité est discutable, mais son fonctionnement est assez louable.

Le G8, en revanche, est bien un organe de ce que l’on appelle « la gouvernance mondiale ». Gouvernance, ce mot barbare issu de l’anglais, dont le sens est clairement différent du terme très neutre de « gouvernement ». La gouvernance mondiale, c’est avant tout une dictature mondiale, imposée par les plus forts aux plus faibles. Quand bien même le G20 représenterait 90% du PIB mondial, de quel droit l’Europe occidentale, le Brésil ou la Chine pourraient-ils imposer leurs vues au Tadjikistan, au Paraguay ou au Bhoutan sous prétexte que ces trois derniers pays sont moins riches et moins peuplés ? Nos manuels d’histoire ont souvent la dent dure avec la Sainte Alliance, organisation du xixe siècle qui visait à maintenir une organisation politique et stratégique favorable aux grandes monarchies autoritaires européennes. Mais le G20 (tout comme le G8) part exactement du même principe, et c’est pourquoi il est avant tout composé d’Occidentaux ou de pays favorables aux Occidentaux.

Fort heureusement, l’efficacité réelle du G20 est plus que douteuse. Nul ne sait quelles sont les vraies grandes décisions qui ont été prises en 2012 à Los Cabos, par exemple, en dehors du renforcement du FMI et de quelques vœux pieux et incantations à la moralisation du capitalisme. Les pays qui le composent, s’ils sont majoritairement favorables à l’OTAN, n’ont pas les mêmes intérêts économiques ou sociaux et tirent tous la couverture à eux dans une cacophonie risible.

Plus que jamais, il fait bon, tant pour les pays occidentaux que pour leurs opposants, de ne pas figurer parmi les membres officiels du G20. Cette organisation, dont la légitimité, la composition et le principe même sont plus que critiquables, n’est sans doute qu’un instrument supplémentaire du capitalisme libéral planétaire.

Nicolas Klein


L'hystérie collective



Les Français ont eu l’habitude, au cours de leur histoire récente, d’être toujours désignés par leurs dirigeants politiques et les médias dominants comme la cause de tous les problèmes de la France. Pas assez travailleurs, trop chers, trop geignards, trop en grève, pas assez bons en langues, etc. Les reproches ne manquent pas, surtout dans la bouche des libéraux (comprenez : dans la bouche de 80% des hommes politiques). Parallèlement à cet acharnement, que subissent d’autres peuples d’Europe et du monde, ces mêmes responsables politiques et médiatiques ont toujours montré à ces ignorants de Français quelle était la voie à suivre, quel était le modèle. Ce modèle est d’ailleurs toujours pris dans d’autres pays, chez d’autres peuples plus ou moins proches. Certaines admirations sont l’effet d’une mode passagère : les dynamiques Britanniques, les flexibles Scandinaves, les travailleurs Japonais, etc. D’autres sont bien plus durables et leur caractère pérenne ne peut qu’interroger l’observateur critique. C’est le cas de ces formidables Américains, qui nous sont visiblement supérieurs en tout, et de ces extraordinaires Allemands. Ces derniers ont particulièrement la cote depuis 2008, après être sortis de leur torpeur des années 2000, avoir pratiqué un masochisme social très poussé et avoir espéré pouvoir imposer aux autres ce qu’ils s’étaient imposés à eux-mêmes.

N’en jetez plus : l’Allemagne est industrielle, solide, fiable, avancée, travailleuse, dynamique. Que pouvons-nous, nous, pauvres larves françaises ? Et, a fortiori, que peuvent les lombrics d’Europe méditerranéenne, que l’on décrit presque comme intrinsèquement inférieurs, ainsi que j’en ai parlé dans un précédé article ? Car, indépendamment de ce constat qui est bien plus qu’à nuancer, il est un discours général, tant dans le milieu politique que médiatique, qui vante sans cesse les mérites de nos voisins d’outre-Rhin. Tout cela pour mieux nous dire combien nous, Français et peuples latins, sommes des nullités ambulantes. Il est quelque part logique que l’ensemble de la classe politique et des grands médias tombent en pâmoison devant le libéralisme allemand, qui d’un point de vue purement comptable porte (pour le moment) ses fruits. Malgré tous les signes annonciateurs d’un déclin déjà bien amorcé, l’Allemagne d’Angela Merkel (laquelle profite, soyons honnêtes, des réformes de son prédécesseur à la chancellerie, Gerhard Schröder) est en effet une figure triomphante de l’économie de marché totalement débridée. Un peu comme la France, même si cette dernière est plus discrète en la matière.

Ce qui commence à être plus gênant et plus incompréhensible, c’est que les Français dans leur large majorité pensent que, malgré l’infériorité patente de leur pays, le couple franco-allemand survit. Ah, ce mythique couple franco-allemand ! Il n’existe pas depuis soixante ans qu’on pourrait croire qu’il a conditionné toute l’histoire de l’hexagone au moins depuis Vercingétorix. On en fêtait d’ailleurs le cinquantième anniversaire, dimanche, en la cathédrale de Reims. Aux informations télévisées de France 2, un badaud enthousiaste à l’idée de serrer la main de la chancelière et du président François Hollande, s’exprimait même avec ferveur : « Le couple franco-allemand est capital : sans lui, l’Europe n’existerait pas ! » Passons sur l’utilisation du mot « Europe » à la place de l’expression « Union européenne », substitution courante. Il s’agit presque d’un lapsus, toutefois : sans l’Allemagne et le couple franco-allemand, peut-être même que l’Europe physique, les continents, les océans, la terre, les étoiles et l’univers n’existeraient pas, qui sait ! Quelle drôle d’idée pour un pays d’origine latine comme la France, qui a toujours eu son destin dans le bassin méditerranéen, de s’enticher à ce point d’un voisin si différent. Il ne s’agit pas d’avoir commerce uniquement avec des « cousins ». Mais cette hystérie collective autour de l’Allemagne dépasse l’entendement et tous les bilans critiques. 

Dans un couple, si le mari ne cesse d’être présenté comme supérieur à la femme, et si celui-là ne fait jamais rien pour mettre en valeur son épouse, n’y a-t-il pas comme un parfum de divorce ou, à tout le moins, de forte mésentente dans l’air ? Par ailleurs, puisque, selon les zélateurs du « modèle » allemand, le couple franco-allemand mène l’Union européenne depuis le début, pourquoi ne rend-il jamais de comptes concernant l’échec patent de sa gestion ? Il est un peu trop simple de vouloir être le président directeur général d’une entreprise, de s’arroger tous les avantages liés à cette fonction et, dans le même temps, de ne jamais vouloir présenter les raisons de la faillite auprès du conseil d’administration.

Mais il y a encore plus fort. Que les libéraux et les médias à leur botte vénèrent Berlin, comme je l’ai dit, passe encore. Ils voient l’Allemagne comme le fer-de-lance de l’Europe, le dernier bastion de l’euro, celui qui, par sa rigueur et ses diktats, sauvera l’Union européenne de la ruine. Mais ce qui est encore plus fort de café, c’est que l’Allemagne plaît aussi à une bonne partie des anti-libéraux et des europhobes, ceux qui pensent (à juste titre) que l’euro n’est viable ni à court, ni à long terme. Bien étrange, lorsque l’on sait que l’Allemagne est le premier bénéficiaire, et de loin, de la monnaie commune. Que le peuple allemand conçoive un véritable agacement et une peur face aux demandes d’aide financière venues de toutes parts, c’est logique. Mais les élites allemandes, elles, savent très bien que les avantages que leur pays retire de l’euro sont bien supérieurs aux inconvénients qu’il ne lui pose. Lorsque je critique l’Allemagne, ce sont bien ses dirigeants que j’attaque, même si la mentalité de son peuple est conditionnée par leurs déclarations. En revanche, des critiques envers les dirigeants allemands, vous en trouverez bien peu même chez ceux qui souhaitent la mort de l’euro (et éventuellement de l’Union européenne). Ils vont vous dire que, secrètement, l’Allemagne espère elle aussi la fin de cet outil (mais pourquoi donc ?). Ils vont même s’emparer de déclarations en provenance de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ou d’une quelconque réunion publique entre la chancelière et les autorités économiques du pays. Il est vrai que tant la première que les secondes ont donné l’occasion au cabinet Merkel, au moins à dix reprises, de claquer définitivement la porte de l’euro. L’Allemagne est le pays dont la parole politique a aujourd’hui le plus de poids en Union européenne. Angela Merkel pourrait très bien tirer les conclusions du ras-le-bol des Allemands et donner le coup de grâce à l’euro. Mais pourquoi ne le fait-elle jamais, alors que de nombreuses instances nationales ou internationales (comme les agences de notation ou les fonds de pension) lui en donnent largement le prétexte ? De deux choses l’une : soit Angela Merkel désire la fin de l’euro mais sa lâcheté l’emporte finalement ; soit elle ne la désire pas (ce qui me paraît le plus probable) mais elle ne cesse d’en entretenir l’illusion pour mieux imposer ses critères au reste de l’organisation. Dans tous les cas, je ne vois RIEN qui ne soit admirable. Pourtant, je le répète : rares sont les europhobes qui la critiquent – et ils tombent presque tous dans le panneau de ses déclarations insidieuses. Dernièrement, seule la Finlande a eu le courage, par la voix de ses dirigeants, d’exprimer clairement l’avis général de son peuple. Mais pas comme Angela Merkel : avec des menaces très claires, pas de sous-entendus ni de petits doubles sens. Au fond, sans vouloir idolâtrer nos amis d’Helsinki, c’est bien plus louable que les circonvolutions allemandes.

Mais Angela Merkel et les élites de son pays sont très habiles. Et si la responsabilité de cette crise n’échoit pas seulement à l’Allemagne, il convient de rappeler que les dirigeants allemands font tout pour entretenir l’ambiguïté. Mieux encore : leur rhétorique confine au génial parce qu’ils savent, selon le moment, les événements et les interlocuteurs, dire à chacun ce qu’il veut entendre. Aux libéraux pro-européens, que l’euro est un compromis non négociable mais qu’il faudra tous imiter sagement les Allemands. Aux europhobes, que l’Allemagne est dans un état de lassitude avancée et qu’elle ne consentira pas à défendre le système plus de temps. Il faut y ajouter un dernier facteur, encore moins visible : le poids des États-Unis d’Amérique. De la même façon que l’oncle Sam a tout fait pour créer l’Union européenne, organisme autobloquant qui lui permet de contrôler le continent européen, il cherche à tout prix à maintenir en place l’euro. D’une part, cela affaiblit considérablement d’éventuels rivaux européens. D’autre part, cela lui permet de détourner l’attention sur la Grèce ou l’Espagne au moment même où il fait faillite. Et nul doute que Barack Obama donne régulièrement des ordres en ce sens à Angela Merkel, qui les suit d’autant plus servilement que les résultats l’en arrangent – pour le moment. Nul doute, également, que Washington voit d’un bon œil l’hystérie collective pro-allemande en Europe et en France – pour l’instant.

Nicolas Klein


Voyage vers nulle part




C’est un peu comme ces voyages interminables, par une chaleur écrasante, sous un ciel pareil à un couvercle de plomb. L’indétrônable groupe britannique nous emmène toujours sur des sentiers raboteux ou des routes en plein milieu d’un désert d’Arizona ou d’Andalousie. À pied, sous un soleil inflexible, ou dans un cercueil de tôle et d’acier, à une vitesse folle, toutes fenêtres ouvertes, la musique défile dans un rythme implacable, tantôt angoissant, tantôt lénifiant. Les paroles, mélancoliques et planantes, font s’élever l’esprit en d’insondables méditations semblables aux volutes de la fumée de cigarette. Et que dire des vidéo-clips, dont le vieillissement est à peine perceptible et qui enchantent toujours par leurs trouvailles lascives ou insolites ?
         
 Depeche Mode, c’est un peu tout cela. Une bande de visionnaires qui a débarqué en pleine nouvelle vague musicale et s’est choisi un nom de magazine plus adapté à un salon de coiffure. Un groupe qui a choqué toutes les critiques en proposant un son sans un seul accord de guitare. Synthétiseurs, boîtes à rythmes et voix. Bien sûr, la formule a savamment évolué au fil du temps et les instruments plus classiques ont fini par entrer dans la danse. Mais jamais les Britanniques ne se sont reniés : leur âme est toujours là, avec un succès qui ne montre pas de signe de faiblesse.


Depeche Mode, pour moi, c’est trois chansons-phare, trois titres que tout le monde devrait avoir écouté au moins une fois dans sa vie. En tête figure bien entendu un standard devenu une référence pour bien des groupes postérieurs, le fameux tube Enjoy the silence. La cape et la couronne royales ont fait des émules, depuis, mais sans que jamais ces éléments ne puissent être aussi bien employés que par le groupe. Certains animateurs de seconde zone auront beau se moquer et répéter à tue-tête qu’il est comique qu’un groupe ait intitulé une chanson Profite du silence, il faut pénétrer pleinement dans cet univers pour comprendre que la mélodie de Depeche Mode et la voix de Dave Gahan sont aussi suaves que le silence.
          
Mais il faut aussitôt partir pour le Nord du Mexique ou le Sud des États-Unis d’Amérique. Un lupanar étrange où nul ne s’adonne à des ébats. Un cheval filmé d’une manière fort bizarre. De faux cow-boys qui montent et descendent les escaliers, entrent et sortent des chambres. Nous voici plongés dans un Personal Jesus devenu le plus gros tube de Depeche Mode. Et au fond, il le mérite : l’accord de guitare initial, les souffles évocateurs du pont musical et les paroles ambiguës et mystiques pourraient transporter n’importe quel mélomane. Il y a dans ce titre quelque chose de magique, d’indéfinissable, d’indicible. Il se caractérise donc avant tout par la négativité, par ce que l’on ne peut ni exprimer ni décrire. Mais n’est-ce pas l’essence même de Depeche Mode que la négativité ?

          
 En sautant d’une époque, l’on atteint le troisième titre-clef de la formation britannique. Une chanson nettement plus récente, passée plus inaperçue que ses deux devancières et qui mérite pourtant un détour attentif. Là où Personal Jesus consacrait le triomphe de ce soleil de justice (comme on dirait outre-Pyrénées), cette chanson marque, ne serait-ce que par son vidéo-clip, le triomphe de cette marche inexorable d’un véhicule fou, qui s’emballe et ne s’arrête plus. Son nom : Wrong. Tout un programme de négativité, une fois de plus, où le plus important sont les paroles lancinantes de Dave Gahan et surtout ce rythme oppressant. Reproduisant les battements du cœur, il semble devoir écraser ce dernier, le fondre dans une masse de sang versé. C’est la plus grande force de cette chanson qui aurait mérité d’être un tube – surtout au vu des scies que l’on nous passe à longueur de journée sur toutes les fréquences radiophoniques. Un titre à l’image de Depeche Mode : sombre et fascinant. Et parfait. Ou presque.
         
 Le temps ne semble pas avoir de prise sur la musique de ce groupe. Un peu comme si les sons qu’il propose étaient inaltérables, gravés dans un airain inoxydable. L’on peut à loisir écouter et réécouter les albums Black Celebration, Violator, Playing the angel ou Sounds of the universe en se disant qu’ils n’ont pas pris une ride, qu’aucun accord, qu’aucune note n’a vieilli d’un pouce. C’est que Depeche Mode évoque et ressasse sans discontinuer des thèmes qui, malgré les apparences, ne sont jamais liés à une seule époque. Les paroles déclamées par Dave Gahan sont consubstantielles à l’être humain, mais il y a plus. Cette musique, qui semble se répandre en une nappe d’eau qui déborde et inonde tout, flotte dans le temps plus qu’elle ne le subit. Un peu comme un poison huileux qui coule dans la gorge, une sorte de nectar dangereux dont nul n’est jamais rassasié. À nouveau la négativité, le vide. Pourtant, Depeche Mode vient combler un vide existentiel tout autant qu’il l’exprime. Une sorte de paradoxe qui sied à merveille au groupe.

Nicolas Klein



La mesquinerie humaniste ou la misanthropie pacifiste


 Les civilisations ne se valent pas. Toutefois elles ont un point commun, celui d'exceller dans le domaine de la médiocrité et du faux-semblant. L'homme de nature est xénophobe. La vue de l'étranger lui fait peur. Fier de sa culture qui est un ensemble de lambeaux de chairs purulents, l'autochtone y voit le coup de poignard fatal qui va mener sa race à l'extinction. La race, ce sujet archaïque qui ne fait pas la différence entre l'ignare du Périgord qui cultive son ressentiment racialiste en l'abreuvant de  bière bon marché et le jeune diplômé de l'Ecole Polytechnique.

Le racialiste blanc exècre et admire la culture orientale. Habitué et baignant dans son sentiment de domination grâce à l'histoire qui reste l'œuvre des vainqueurs, L'Occident craint de ne plus pouvoir garder cette place qui désormais est factice. Se contentant tout simplement d'être et de ses multiples possessions matérielles, L'Occident voit L'Orient de plus en plus proche. Cette dernière n'hésitant pas à user des vices occidentaux pour avancer en faisant preuve de virilité quand son opposé fait preuve de couardise.


Ah la virilité, cette caractéristique qui fait fantasmer l'orgueil des hommes et depuis mai 68 celui des femmes. Les hommes en jean slim et qui portent des t-shirt fluorescents en col U pensent tromper l'homme en se vantant de mater les femmes. Sans parler de ces dernières qui aujourd'hui s'engouffrent dans ce trou béant de la masculinité. Mais ces hommes n'ont pas compris l'essence même de la virilité, celle qui accepte la domination féminine qui transparait dans la finesse psychologique de la gent féminine. Malheureusement la femme perd cette spécificité, ce qui en fait un être androgyne qui écume les rues de Châtelet  qui cherche le ticket d'or dans son seau de poulet KFC, quand elle ne crache pas par terre tout en mâchant un chewing-gum goût menthol pour atténuer l'odeur de la clope. Ces androgynes se retrouvent dans un ectoplasme générateur d'un néant social. Mixant la caricature masculine proche de l'acteur pornographique et les modèles féminins américain qui ont souvent une sextape  à leur actif, ces êtres sont voués à crever comme des chiens errants ukrainiens en temps de compétition sportive. Une morte lente et douloureuse... Pas sur le plan physique, qui lui peut toujours être monnayé contre une prestation physique, mais sur le plan intellectuel. Une atrophie cérébrale faisant suite à une dégénérescence naturelle des neurones.

J'égratigne fortement les femmes, toutefois ce constat est aussi valable pour le métrosexuel soit l'homme urbain qui se soucie de son apparence au dépend du reste. Mais toute cette tambouille qui sent le pourri est unicolore. En Occident, ou en Orient, la merde ne s'arrête pas aux frontières. Sa couleur est peut-être plus chatoyante et agréable pour l'homme qui n'a aucun soucis pour admirer la subversion vomitive de Golgota Picnic. L'odeur par contre reste la même.

Occidentaux et Orientaux, entretuez-vous si cela est votre destinée. Mais cela se fera sans moi. Peut-être que vous m'entrainerez dans votre déchéance mais je ferai tout mon possible pour ne pas en être.

Sélim Toumi 
 

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