Le club des Occidentaux
C’est le même cinéma à chaque réunion, comme à Deauville
en 2011 ou à Camp David en 2012 : une station balnéaire ou une résidence
de villégiature prise d’assaut ; des policiers sur terre, dans les airs ou
sur mer ; des manifestants altermondialistes assez naïfs pour penser jouer
les trouble-fête ; et huit chefs d’État et de gouvernement qui discutent
de l’avenir économique et géopolitique de la planète. Le fameux « groupe
des huit » (plus connu sous le sigle de G8), créé à l’initiative de Valéry
Giscard d’Estaing en 1974, était d’abord un groupe des cinq (États-Unis
d’Amérique, Japon, Allemagne de l’Ouest, France, Royaume-Uni). Mais, après un
an d’existence, il a paru bon à nos chers dirigeants d’y ajouter l’Italie. Un
an plus tard encore, les États-Unis d’Amérique et l’Allemagne de l’Ouest
obtenaient l’intégration du Canada à ces réunions. Enfin, en 1997, la toute
nouvelle Fédération de Russie obtenait son sésame pour entrer dans ce groupe
très fermé.
Pour des
raisons assez évidentes, à l’aube du xxie
siècle, le G8 apparaissait de plus en plus comme un petit club fermé, celui des
Occidentaux (membres de l’Union européenne et/ou de l’OTAN pour la majorité) –
blancs de préférence, même si l’on y tolérait les industrieux Japonais. Face au
déclin relatif de l’Europe en matière économique et démographique, il semblait
judicieux d’inviter à la table des représentants d’Amérique latine, du
continent asiatique et du continent africain. Face aux multiples crises
jalonnant l’histoire du capitalisme depuis sa création, convier le Brésil, le
Mexique, l’Indonésie ou la Chine semblait une bonne idée. Et il est certain que
le G20 est bien plus représentatif, en termes démographiques (les deux tiers de
la population mondiale voient leurs « droits » défendus) ou
commerciaux (les vingt membres permanents cumulent 90% du produit mondial brut
et 85% du commerce planétaire). Pour faire bonne mesure, des sommets parallèles
sur divers sujets (finances, emploi, agriculture, etc.) ont même été ajoutés à
chaque grande rencontre. En apparence, l’idée de Nicolas Sarkozy et Gordon
Brown a donc porté ses fruits, pour une meilleure « gouvernance »
mondiale.
Mais
plusieurs problèmes de poids se posent tant dans le G8 que dans le G20. Car le
premier constat étrange que l’on peut faire à ce sujet, c’est que le G8,
pourtant médiatiquement présenté comme obsolète, existe toujours. Cela peut
paraître totalement incompréhensible dans la mesure où le groupe des vingt,
unanimement salué comme plus moderne et démocratique, reprend l’ensemble du
groupe des huit, y ajoute dix pays émergents (Mexique, Brésil, Argentine,
Afrique du Sud, Turquie, Arabie saoudite, Chine, Inde, Indonésie ainsi que la
Russie, également comptée dans ce groupe) ainsi que deux autres pays
industrialisés (Corée du Sud, Australie). Pourquoi maintenir alors les
coûteuses réunions du G8, surtout dans un moment où les Occidentaux cherchent à
réduire leur train de vie somptuaire, et pourquoi leur donner une telle
importance politique et médiatique ? A l’image du président Valéry Giscard
d’Estaing, qui se baignait dans une piscine aux côtés du président Gerald Ford
en 1975, les Occidentaux aiment à se retrouver entre eux, à organiser des
sommets séparés. Un peu comme si l’existence du G20 représentait au mieux une
obole envers les nouvelles puissances (et les puissances de demain) mais
qu’aucune d’entre elles n’avait une réelle légitimité à gouverner le monde. Le
caractère démesuré du dernier sommet du G8 en France, réalisé en 2011, avait
une saveur assez particulière. Dans une station balnéaire très chic – qui
organise chaque année, et c’est intéressant, un festival du film américain –
surtout connue pour ses plages bourgeoises, ses casinos et sa promenade
auréolée du nom de mille célébrités du septième art, Nicolas Sarkozy
s’empressait de faire valoir le statut de grande puissance de la France. Les
vieux pays européens auraient-ils peur de ne plus faire le poids face aux
États-Unis d’Amérique, à la Russie et aux pays émergents ? C’est le
sentiment que donnent particulièrement la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne
lors de ces dernières réunions. Un peu comme si l’on voulait maintenir jusqu’au
bout la mainmise des Occidentaux sur la planète.
Pourtant, à
y regarder de plus près, le G20 n’affiche pas une légitimité supérieure. Si
l’intégration de certains pays semblait s’imposer naturellement (Brésil, Inde,
Chine, Mexique, Indonésie, essentiellement), l’on note rapidement des
« bizarreries » aussi frappantes que la décision, en 1976, d’y
ajouter le Canada. Ce dernier pays est certes vaste et riche en ressources
naturelles, mais son poids démographique est très faible (un peu plus de 33
millions d’habitants) et il ne fait stricto
sensu toujours pas partie des huit premières économies du monde (il n’est
que onzième au classement des PIB nominaux et quatorzième si l’on tient compte
du pouvoir d’achat). D’ailleurs, le G20, contrairement à ce que répètent
souvent les médias (et à ce que croient donc massivement les citoyens du
monde), n’est pas une réunion des vingt premières économies mondiales. En nous
fondant sur le classement des pays par produit intérieur brut nominal pour
l’année 2011, réalisé par le Fonds monétaire international et la Banque
mondiale, l’on découvre ainsi que l’Arabie saoudite est vingt-et-unième ;
l’Argentine, vingt-sixième ; l’Afrique du Sud, vingt-neuvième.
Le choix n’a pas
non plus été effectué sur des critères démographiques, puisque plusieurs
nations-membres ont moins de cinquante millions d’habitants : l’Argentine
excède tout juste les 40 millions ; le Canada dépasse de peu les 30 millions ;
l’Arabie ne décolle pas vraiment au-dessus de 20 millions, de même que
l’Australie.
Difficile également
d’établir des comparaisons sur le dynamisme économique. Cela exclurait d’emblée
les vieilles nations occidentales, empêtrées dans une crise assez profonde et
qui, dans tous les cas, auront bien du mal à retrouver des taux de croissance
phénoménaux de façon durable.
Il ne faut pas non
plus chercher du côté du poids géopolitique ou militaire, puisque certains pays
qui composent le G20 sont des nains politiques (Japon, Allemagne) ou disposent
d’armées très faibles qualitativement et/ou quantitativement (l’Amérique latine
est particulièrement touchée par ce phénomène, mais l’on peut aussi penser à
l’Afrique du Sud ou, dans une moindre mesure, au Japon).
Mais alors,
comment ont été choisis les pays qui sont venus se joindre d’abord au G5
initial, puis au G8 des années 90, afin de former le G20 ? Les critères de
sélection à l’œuvre dans la constitution de cet obscur rassemblement remettent
plus encore en cause sa légitimité. Il est intéressant de noter que l’immense
majorité des pays présents dans le groupe des vingt est alliée, voire soumise,
aux États-Unis d’Amérique. C’est particulièrement le cas des pays européens,
plus encore de l’Allemagne et de l’Italie, qui ne disposent pas de l’arme
atomique.
C’est évidemment le
cas du Japon, dont la question a été réglée par Washington en 1945. Notons
également que l’adhésion du Canada en 1976 ne répond qu’à une demande
germano-américaine ; en d’autres termes, Ottawa n’a obtenu son billet
d’entrée que par son appartenance à l’OTAN et sa soumission docile à l’oncle
Sam, soumission renforcée par sa proximité avec la première puissance mondiale.
L’on pourrait aussi
le dire de la Corée du Sud, qui devient peu à peu le disciple du Japon dans la
tentative de domination totale de l’Asie orientale par les Etats-Unis. Ce n’est
pas que Séoul ne représente pas une certaine forme de richesse, mais d’autres
pays tout aussi peuplés et plus puissants (comme l’Espagne) auraient pu
remplacer le pays du matin calme. A la frontière avec la Corée du Nord et aux
portes de la Russie et de la Chine, la Corée du Sud est définitivement un
puissant relai d’influence américain. Il en va de même pour le Mexique, nation
dont la montée en puissance est rapide (il est par exemple le premier
exportateur d’Amérique latine et son dynamisme commercial menace largement le
Brésil) et dont la population est importante. Mais le pays des Aztèques est
plus que jamais un allié indéfectible de Washington et une arrière-cour d’une
grande importance géostratégique.
Cela concerne
également l’Australie, qui bénéficie des mêmes atouts et souffre des mêmes
faiblesses que son cousin canadien. Canberra et Ottawa se rejoignent sur un
point: leur alliance presqu’ethnique à l’oncle Sam. L’Afrique du Sud, bien que
métissée, est elle aussi une ancienne colonie britannique et n’a pas pour
habitude de s’opposer frontalement à l’hégémonie nord-américaine.
Il est hilarant de
noter que deux des trois pays à majorité musulmane présents dans ce groupe
(Turquie et Arabie saoudite) soient plus que favorables à la position de
Washington. Ils pratiquent par exemple des opération de subversion en quasi
permanence contre les ennemis de l’OTAN dans la région (Syrie et Iran,
essentiellement). D’ailleurs, l’argument qui consiste à défendre la présence
saoudienne dans le G20 par sa manne pétrolière ne tient pas réellement. Dans ce
cas, pourquoi ne pas faire entrer à sa place des pays dont les réserves d’or
noir sont tout aussi considérables, voire plus, comme l’Iran ou le
Venezuela ? Une réponse lancée au hasard : l’oncle Sam ne goûte guère
la volonté d’indépendance de Mahmoud Ahmadinejad ou de Hugo Chávez.
Reste le cas des
BRIC, de l’Argentine et de l’Indonésie. Pour cette dernière nation, il est
difficile de se prononcer étant donné que Jakarta est une puissance régionale
plus que mondiale. Son opposition à la tentative d’hégémonie australienne sur
l’Australasie pourrait potentiellement en faire un opposant, bien que timide, à
l’Occident.
L’Argentine, pour
sa part, bénéficie du fait qu’il fallait un deuxième représentant de l’Amérique
du Sud et que son économie, très dynamique, est portée par d’importantes
richesses naturelles. La politique internationale de Cristina Fernández de
Kirchner en fait dans tous les cas un opposant concret à l’OTAN.
Au sein des fameux
BRIC (dont j’ai montré dans un précédent article de ce blog à quel point leur
unité n’était que de façade), le Brésil et l’Inde, sans être soumis à
Washington, ont une position internationale plus que floue. C’est d’autant plus
vrai depuis l’accession au pouvoir de Dilma Rousseff, qui a rompu avec le seul
intérêt de son prédécesseur : une politique étrangère intelligente. Dans
ce groupe, seules la Russie et la Chine sont en fait des opposants quasi
systématiques, d’un point de vue géopolitique à l’Occident. Ce n’est d’ailleurs
pas un hasard si Moscou et Pékin s’investissent davantage dans l’Organisation
de Coopération de Shanghai, qui se veut le pendant oriental de l’OTAN.
Vous l’aurez
compris : malgré le tour de passe-passe tenté par Nicolas Sarkozy et
Gordon Brown, avec l’aval des États-Unis, le G20, comme le G8, est avant tout
le club des Occidentaux. Et l’immense majorité de ceux qui ne sont pas
occidentaux, au sens culturel ou géopolitique du terme, suivent la politique
américaine quasiment trait pour trait. C’est une tentative pour l’oncle Sam de
maintenir son hyperpuissance, sous couvert de soutien au monde multipolaire. Sa
composition, qui la discrédite grandement, reflète également la marginalisation
croissante des pays européens, y compris de ceux qui veulent encore, par
coquetterie, jouer dans la cour des grands (France, Royaume-Uni).
Mais il y a un
problème plus grave. Si l’Organisation des Nations unies maintient un système
d’inégalité entre nations par le principe du Conseil de sécurité permanent,
elle a pour mérite de traiter à peu près tous les pays du monde de façon
équitable et respectueuse. Son utilité est discutable, mais son fonctionnement
est assez louable.
Le G8, en revanche,
est bien un organe de ce que l’on appelle « la gouvernance
mondiale ». Gouvernance, ce mot barbare issu de l’anglais, dont le sens
est clairement différent du terme très neutre de « gouvernement ». La
gouvernance mondiale, c’est avant tout une dictature mondiale, imposée par les
plus forts aux plus faibles. Quand bien même le G20 représenterait 90% du PIB
mondial, de quel droit l’Europe occidentale, le Brésil ou la Chine
pourraient-ils imposer leurs vues au Tadjikistan, au Paraguay ou au Bhoutan
sous prétexte que ces trois derniers pays sont moins riches et moins
peuplés ? Nos manuels d’histoire ont souvent la dent dure avec la Sainte
Alliance, organisation du xixe
siècle qui visait à maintenir une organisation politique et stratégique
favorable aux grandes monarchies autoritaires européennes. Mais le G20 (tout
comme le G8) part exactement du même principe, et c’est pourquoi il est avant
tout composé d’Occidentaux ou de pays favorables aux Occidentaux.
Fort heureusement,
l’efficacité réelle du G20 est plus que douteuse. Nul ne sait quelles sont les
vraies grandes décisions qui ont été prises en 2012 à Los Cabos, par exemple,
en dehors du renforcement du FMI et de quelques vœux pieux et incantations à la
moralisation du capitalisme. Les pays qui le composent, s’ils sont
majoritairement favorables à l’OTAN, n’ont pas les mêmes intérêts économiques
ou sociaux et tirent tous la couverture à eux dans une cacophonie risible.
Plus que jamais, il
fait bon, tant pour les pays occidentaux que pour leurs
opposants, de ne pas figurer parmi les membres officiels du G20. Cette
organisation, dont la légitimité, la composition et le principe même sont plus
que critiquables, n’est sans doute qu’un instrument supplémentaire du
capitalisme libéral planétaire.
Nicolas Klein
L'hystérie collective
Les Français ont eu l’habitude, au cours de leur
histoire récente, d’être toujours désignés par leurs dirigeants politiques et
les médias dominants comme la cause de tous les problèmes de la France. Pas
assez travailleurs, trop chers, trop geignards, trop en grève, pas assez bons
en langues, etc. Les reproches ne manquent pas, surtout dans la bouche des
libéraux (comprenez : dans la bouche de 80% des hommes politiques).
Parallèlement à cet acharnement, que subissent d’autres peuples d’Europe et du
monde, ces mêmes responsables politiques et médiatiques ont toujours montré à
ces ignorants de Français quelle était la voie à suivre, quel était le modèle.
Ce modèle est d’ailleurs toujours pris dans d’autres pays, chez d’autres
peuples plus ou moins proches. Certaines admirations sont l’effet d’une mode
passagère : les dynamiques Britanniques, les flexibles Scandinaves, les
travailleurs Japonais, etc. D’autres sont bien plus durables et leur caractère
pérenne ne peut qu’interroger l’observateur critique. C’est le cas de ces
formidables Américains, qui nous sont visiblement supérieurs en tout, et de ces
extraordinaires Allemands. Ces derniers ont particulièrement la cote depuis
2008, après être sortis de leur torpeur des années 2000, avoir pratiqué un
masochisme social très poussé et avoir espéré pouvoir imposer aux autres ce
qu’ils s’étaient imposés à eux-mêmes.
N’en jetez plus : l’Allemagne est industrielle,
solide, fiable, avancée, travailleuse, dynamique. Que pouvons-nous, nous,
pauvres larves françaises ? Et, a
fortiori, que peuvent les lombrics d’Europe méditerranéenne, que l’on
décrit presque comme intrinsèquement inférieurs, ainsi que j’en ai parlé dans
un précédé article ? Car, indépendamment de ce constat qui est bien plus
qu’à nuancer, il est un discours général, tant dans le milieu politique que
médiatique, qui vante sans cesse les mérites de nos voisins d’outre-Rhin. Tout
cela pour mieux nous dire combien nous, Français et peuples latins, sommes des
nullités ambulantes. Il est quelque part logique que l’ensemble de la classe
politique et des grands médias tombent en pâmoison devant le libéralisme
allemand, qui d’un point de vue purement comptable porte (pour le moment) ses
fruits. Malgré tous les signes annonciateurs d’un déclin déjà bien amorcé,
l’Allemagne d’Angela Merkel (laquelle profite, soyons honnêtes, des réformes de
son prédécesseur à la chancellerie, Gerhard Schröder) est en effet une figure
triomphante de l’économie de marché totalement débridée. Un peu comme la
France, même si cette dernière est plus discrète en la matière.
Ce qui commence à être plus gênant et plus
incompréhensible, c’est que les Français dans leur large majorité pensent que,
malgré l’infériorité patente de leur pays, le couple franco-allemand survit.
Ah, ce mythique couple franco-allemand ! Il n’existe pas depuis soixante
ans qu’on pourrait croire qu’il a conditionné toute l’histoire de l’hexagone au
moins depuis Vercingétorix. On en fêtait d’ailleurs le cinquantième
anniversaire, dimanche, en la cathédrale de Reims. Aux informations télévisées
de France 2, un badaud enthousiaste à l’idée de serrer la main de la
chancelière et du président François Hollande, s’exprimait même avec
ferveur : « Le couple franco-allemand est capital : sans lui,
l’Europe n’existerait pas ! » Passons sur l’utilisation du mot
« Europe » à la place de l’expression « Union européenne »,
substitution courante. Il s’agit presque d’un lapsus, toutefois : sans
l’Allemagne et le couple franco-allemand, peut-être même que l’Europe physique,
les continents, les océans, la terre, les étoiles et l’univers n’existeraient
pas, qui sait ! Quelle drôle d’idée pour un pays d’origine latine comme la
France, qui a toujours eu son destin dans le bassin méditerranéen, de
s’enticher à ce point d’un voisin si différent. Il ne s’agit pas d’avoir
commerce uniquement avec des « cousins ». Mais cette hystérie
collective autour de l’Allemagne dépasse l’entendement et tous les bilans
critiques.
Dans un couple, si le mari ne cesse d’être présenté
comme supérieur à la femme, et si celui-là ne fait jamais rien pour mettre en
valeur son épouse, n’y a-t-il pas comme un parfum de divorce ou, à tout le
moins, de forte mésentente dans l’air ? Par ailleurs, puisque, selon les
zélateurs du « modèle » allemand, le couple franco-allemand mène l’Union
européenne depuis le début, pourquoi ne rend-il jamais de comptes concernant
l’échec patent de sa gestion ? Il est un peu trop simple de vouloir être
le président directeur général d’une entreprise, de s’arroger tous les
avantages liés à cette fonction et, dans le même temps, de ne jamais vouloir
présenter les raisons de la faillite auprès du conseil d’administration.
Mais il y a encore plus fort. Que les libéraux et
les médias à leur botte vénèrent Berlin, comme je l’ai dit, passe encore. Ils
voient l’Allemagne comme le fer-de-lance de l’Europe, le dernier bastion de
l’euro, celui qui, par sa rigueur et ses diktats, sauvera l’Union européenne de
la ruine. Mais ce qui est encore plus fort de café, c’est que l’Allemagne plaît
aussi à une bonne partie des anti-libéraux et des europhobes, ceux qui pensent
(à juste titre) que l’euro n’est viable ni à court, ni à long terme. Bien
étrange, lorsque l’on sait que l’Allemagne est le premier bénéficiaire, et de
loin, de la monnaie commune. Que le peuple allemand conçoive un véritable
agacement et une peur face aux demandes d’aide financière venues de toutes
parts, c’est logique. Mais les élites allemandes, elles, savent très bien que
les avantages que leur pays retire de l’euro sont bien supérieurs aux inconvénients
qu’il ne lui pose. Lorsque je critique l’Allemagne, ce sont bien ses dirigeants
que j’attaque, même si la mentalité de son peuple est conditionnée par leurs
déclarations. En revanche, des critiques envers les dirigeants allemands, vous
en trouverez bien peu même chez ceux qui souhaitent la mort de l’euro (et
éventuellement de l’Union européenne). Ils vont vous dire que, secrètement,
l’Allemagne espère elle aussi la fin de cet outil (mais pourquoi donc ?).
Ils vont même s’emparer de déclarations en provenance de la Cour
constitutionnelle de Karlsruhe ou d’une quelconque réunion publique entre la
chancelière et les autorités économiques du pays. Il est vrai que tant la
première que les secondes ont donné l’occasion au cabinet Merkel, au moins à
dix reprises, de claquer définitivement la porte de l’euro. L’Allemagne est le
pays dont la parole politique a aujourd’hui le plus de poids en Union
européenne. Angela Merkel pourrait très bien tirer les conclusions du
ras-le-bol des Allemands et donner le coup de grâce à l’euro. Mais pourquoi ne
le fait-elle jamais, alors que de nombreuses instances nationales ou
internationales (comme les agences de notation ou les fonds de pension) lui en
donnent largement le prétexte ? De deux choses l’une : soit Angela
Merkel désire la fin de l’euro mais sa lâcheté l’emporte finalement ; soit
elle ne la désire pas (ce qui me paraît le plus probable) mais elle ne cesse
d’en entretenir l’illusion pour mieux imposer ses critères au reste de
l’organisation. Dans tous les cas, je ne vois RIEN qui ne soit admirable.
Pourtant, je le répète : rares sont les europhobes qui la critiquent – et
ils tombent presque tous dans le panneau de ses déclarations insidieuses.
Dernièrement, seule la Finlande a eu le courage, par la voix de ses dirigeants,
d’exprimer clairement l’avis général de son peuple. Mais pas comme Angela
Merkel : avec des menaces très claires, pas de sous-entendus ni de petits
doubles sens. Au fond, sans vouloir idolâtrer nos amis d’Helsinki, c’est bien
plus louable que les circonvolutions allemandes.
Mais Angela Merkel et les élites de son pays sont
très habiles. Et si la responsabilité de cette crise n’échoit pas seulement à
l’Allemagne, il convient de rappeler que les dirigeants allemands font
tout pour entretenir l’ambiguïté. Mieux encore : leur rhétorique
confine au génial parce qu’ils savent, selon le moment, les événements et les
interlocuteurs, dire à chacun ce qu’il veut entendre. Aux libéraux
pro-européens, que l’euro est un compromis non négociable mais qu’il faudra tous
imiter sagement les Allemands. Aux europhobes, que l’Allemagne est dans un état
de lassitude avancée et qu’elle ne consentira pas à défendre le système plus de
temps. Il faut y ajouter un dernier facteur, encore moins visible : le
poids des États-Unis d’Amérique. De la même façon que
l’oncle Sam a tout fait pour créer l’Union européenne, organisme autobloquant
qui lui permet de contrôler le continent européen, il cherche à tout prix à
maintenir en place l’euro. D’une part, cela affaiblit considérablement d’éventuels
rivaux européens. D’autre part, cela lui permet de détourner l’attention sur la
Grèce ou l’Espagne au moment même où il fait faillite. Et nul doute que Barack
Obama donne régulièrement des ordres en ce sens à Angela Merkel, qui les suit
d’autant plus servilement que les résultats l’en arrangent – pour le moment.
Nul doute, également, que Washington voit d’un bon œil l’hystérie collective
pro-allemande en Europe et en France – pour l’instant.
Nicolas Klein
Voyage vers nulle part
C’est
un peu comme ces voyages interminables, par une chaleur écrasante, sous un ciel
pareil à un couvercle de plomb. L’indétrônable groupe britannique nous emmène
toujours sur des sentiers raboteux ou des routes en plein milieu d’un désert
d’Arizona ou d’Andalousie. À pied, sous un soleil inflexible, ou dans un
cercueil de tôle et d’acier, à une vitesse folle, toutes fenêtres ouvertes, la
musique défile dans un rythme implacable, tantôt angoissant, tantôt lénifiant.
Les paroles, mélancoliques et planantes, font s’élever l’esprit en
d’insondables méditations semblables aux volutes de la fumée de cigarette. Et
que dire des vidéo-clips, dont le vieillissement est à peine perceptible et qui
enchantent toujours par leurs trouvailles lascives ou insolites ?
Depeche
Mode, c’est un peu tout cela. Une bande de visionnaires qui a débarqué en
pleine nouvelle vague musicale et s’est choisi un nom de magazine plus adapté à
un salon de coiffure. Un groupe qui a choqué toutes les critiques en proposant
un son sans un seul accord de guitare. Synthétiseurs, boîtes à rythmes et voix.
Bien sûr, la formule a savamment évolué au fil du temps et les instruments plus
classiques ont fini par entrer dans la danse. Mais jamais les Britanniques ne
se sont reniés : leur âme est toujours là, avec un succès qui ne montre
pas de signe de faiblesse.
Depeche
Mode, pour moi, c’est trois chansons-phare, trois titres que tout le monde
devrait avoir écouté au moins une fois dans sa vie. En tête figure bien entendu
un standard devenu une référence pour bien des groupes postérieurs, le fameux
tube Enjoy the silence. La cape et la
couronne royales ont fait des émules, depuis, mais sans que jamais ces éléments
ne puissent être aussi bien employés que par le groupe. Certains animateurs de
seconde zone auront beau se moquer et répéter à tue-tête qu’il est comique
qu’un groupe ait intitulé une chanson Profite
du silence, il faut pénétrer pleinement dans cet univers pour comprendre
que la mélodie de Depeche Mode et la voix de Dave Gahan sont aussi suaves que
le silence.
Mais
il faut aussitôt partir pour le Nord du Mexique ou le Sud des États-Unis
d’Amérique. Un lupanar étrange où nul ne s’adonne à des ébats. Un cheval filmé
d’une manière fort bizarre. De faux cow-boys qui montent et descendent les
escaliers, entrent et sortent des chambres. Nous voici plongés dans un Personal Jesus devenu le plus gros tube
de Depeche Mode. Et au fond, il le mérite : l’accord de guitare initial,
les souffles évocateurs du pont musical et les paroles ambiguës et mystiques
pourraient transporter n’importe quel mélomane. Il y a dans ce titre quelque
chose de magique, d’indéfinissable, d’indicible. Il se caractérise donc avant
tout par la négativité, par ce que l’on ne peut ni exprimer ni décrire. Mais
n’est-ce pas l’essence même de Depeche Mode que la négativité ?
En
sautant d’une époque, l’on atteint le troisième titre-clef de la formation
britannique. Une chanson nettement plus récente, passée plus inaperçue que ses
deux devancières et qui mérite pourtant un détour attentif. Là où Personal Jesus consacrait le triomphe de
ce soleil de justice (comme on dirait outre-Pyrénées), cette chanson marque,
ne serait-ce que par son vidéo-clip, le triomphe de cette marche inexorable
d’un véhicule fou, qui s’emballe et ne s’arrête plus. Son nom : Wrong. Tout un programme de négativité,
une fois de plus, où le plus important sont les paroles lancinantes de Dave
Gahan et surtout ce rythme oppressant. Reproduisant les battements du cœur, il
semble devoir écraser ce dernier, le fondre dans une masse de sang versé. C’est
la plus grande force de cette chanson qui aurait mérité d’être un tube –
surtout au vu des scies que l’on nous passe à longueur de journée sur toutes
les fréquences radiophoniques. Un titre à l’image de Depeche Mode : sombre
et fascinant. Et parfait. Ou presque.
Le
temps ne semble pas avoir de prise sur la musique de ce groupe. Un peu comme si
les sons qu’il propose étaient inaltérables, gravés dans un airain inoxydable.
L’on peut à loisir écouter et réécouter les albums Black Celebration, Violator,
Playing the angel ou Sounds of the universe en se disant
qu’ils n’ont pas pris une ride, qu’aucun accord, qu’aucune note n’a vieilli
d’un pouce. C’est que Depeche Mode évoque et ressasse sans discontinuer des
thèmes qui, malgré les apparences, ne sont jamais liés à une seule époque. Les
paroles déclamées par Dave Gahan sont consubstantielles à l’être humain, mais
il y a plus. Cette musique, qui semble se répandre en une nappe d’eau qui
déborde et inonde tout, flotte dans le temps plus qu’elle ne le subit. Un peu
comme un poison huileux qui coule dans la gorge, une sorte de nectar dangereux
dont nul n’est jamais rassasié. À nouveau la négativité, le vide. Pourtant,
Depeche Mode vient combler un vide existentiel tout autant qu’il l’exprime. Une
sorte de paradoxe qui sied à merveille au groupe.
Nicolas Klein
La mesquinerie humaniste ou la misanthropie pacifiste
Les civilisations ne se valent pas. Toutefois elles
ont un point commun, celui d'exceller dans le domaine de la médiocrité et du
faux-semblant. L'homme de nature est xénophobe. La vue de l'étranger lui fait
peur. Fier de sa culture qui est un ensemble de lambeaux de chairs purulents,
l'autochtone y voit le coup de poignard fatal qui va mener sa race à
l'extinction. La race, ce sujet archaïque qui ne fait pas la différence entre
l'ignare du Périgord qui cultive son ressentiment racialiste en l'abreuvant
de bière bon marché et le jeune diplômé
de l'Ecole Polytechnique.
Le racialiste blanc exècre et admire la culture
orientale. Habitué et baignant dans son sentiment de domination grâce à
l'histoire qui reste l'œuvre des vainqueurs, L'Occident craint de ne plus
pouvoir garder cette place qui désormais est factice. Se contentant tout
simplement d'être et de ses multiples possessions matérielles, L'Occident voit
L'Orient de plus en plus proche. Cette dernière n'hésitant pas à user des vices
occidentaux pour avancer en faisant preuve de virilité quand son opposé fait
preuve de couardise.
Ah la virilité, cette caractéristique qui fait
fantasmer l'orgueil des hommes et depuis mai 68 celui des femmes. Les hommes en
jean slim et qui portent des t-shirt fluorescents en col U pensent tromper
l'homme en se vantant de mater les femmes. Sans parler de ces dernières qui
aujourd'hui s'engouffrent dans ce trou béant de la masculinité. Mais ces hommes
n'ont pas compris l'essence même de la virilité, celle qui accepte la
domination féminine qui transparait dans la finesse psychologique de la gent
féminine. Malheureusement la femme perd cette spécificité, ce qui en fait un
être androgyne qui écume les rues de Châtelet qui cherche le ticket d'or dans son seau de
poulet KFC, quand elle ne crache pas par terre tout en mâchant un chewing-gum
goût menthol pour atténuer l'odeur de la clope. Ces androgynes se retrouvent
dans un ectoplasme générateur d'un néant social. Mixant la caricature masculine
proche de l'acteur pornographique et les modèles féminins américain qui ont
souvent une sextape à leur actif, ces
êtres sont voués à crever comme des chiens errants ukrainiens en temps de
compétition sportive. Une morte lente et douloureuse... Pas sur le plan
physique, qui lui peut toujours être monnayé contre une prestation physique,
mais sur le plan intellectuel. Une atrophie cérébrale faisant suite à une
dégénérescence naturelle des neurones.
J'égratigne fortement les femmes, toutefois ce constat
est aussi valable pour le métrosexuel soit l'homme urbain qui se soucie de son
apparence au dépend du reste. Mais toute cette tambouille qui sent le pourri
est unicolore. En Occident, ou en Orient, la merde ne s'arrête pas aux
frontières. Sa couleur est peut-être plus chatoyante et agréable pour l'homme
qui n'a aucun soucis pour admirer la subversion vomitive de Golgota Picnic.
L'odeur par contre reste la même.
Occidentaux et Orientaux, entretuez-vous si cela est
votre destinée. Mais cela se fera sans moi. Peut-être que vous m'entrainerez
dans votre déchéance mais je ferai tout mon possible pour ne pas en être.
Sélim Toumi