Da lo mismo que lo misma da



Bien sûr, il y a un deuxième tour dans cette élection présidentielle. Bien sûr, rien n’est joué et il reste deux semaines à Nicolas Sarkozy pour inverser la tendance face à François Hollande. Bien sûr, tout peut arriver, en bien comme en mal, au nouveau paladin du Parti socialiste. Pourtant, le scrutin qui s’est déroulé ce dimanche 22 avril est déjà riche en enseignements et porteur de plusieurs conclusions très importantes. Que l’on soit un démocrate convaincu ou un grand sceptique du suffrage universel (ce que je suis), analyser ce premier vote n’est pas complètement inintéressant, notamment parce qu’il est assez paradoxal : il offre une « surprise » tout en ayant confirmé toutes les prévisions des instituts de sondage.

Le premier enseignement que l’on peut tirer des résultats parvenus la semaine dernière, c’est que c’est moins François Hollande qui l’emporte que Nicolas Sarkozy qui s’écroule. Bien entendu, leur écart à l’issue du premier tour n’est pas mirobolant : à peine 2% les séparent. Pourtant, et il faut bien insister sur ce point, c’est la première fois qu’un président sortant ayant choisi de se représenter n’arrive pas en tête à ce stade de la compétition. Il est un peu prématuré pour parler de déroute de l’Union pour un Mouvement populaire, car il faudra attendre les résultats du 6 mai et voir si l’avance promise au Parti socialiste (jusqu’à douze points selon certaines enquêtes d’opinion !) se confirme. Pourtant, c’est un avertissement sérieux donné à la droite parlementaire et plus personnellement au président de la République, dont le score est bien inférieur à celui qu’il avait réalisé en 2007 (31,18% des suffrages exprimés). L’on a souvent dit depuis cette année-là que Nicolas Sarkozy était un animal politique, une bête de campagne, un immense stratège capable de manier tous les leviers à même de lui octroyer le pouvoir. Il est indéniable que son élection face à Ségolène Royal a été rondement menée, avec un brio que beaucoup pourraient lui envier. Pourtant, le premier tour de l’élection de 2012 dément largement ces qualités, le président-candidat se battant aujourd’hui davantage avec l’énergie du désespoir (il est donné perdant dans tous les cas de figure depuis la fin de l’année 2011) qu’avec celle du gagnant. Ce premier tour est l’aboutissement logique d’une campagne électorale très moyenne, pour ne pas dire assez médiocre, où les ficelles habituelles (reprise de promesses non tenues, clins d’œil à l’électorat le plus à droite de l’échiquier politique français) n’ont pas fonctionné. En témoigne le score exceptionnel de Marine le Pen, sur lequel je vais revenir. Face à cette campagne plutôt décevante, François Hollande n’a pas eu à se surpasser : il lui a suffi d’assurer son personnage tranquille, sérieux et respectable et de ne pas commettre de gaffe irréparable. Il semble pour le moment que cette même stratégie lui permette d’accéder à l’Elysée, notamment parce que Nicolas Sarkozy et l’UMP continuent à jouer les enfants turbulents, pour ne pas dire hyperactifs. Il n’est pas sûr que la proposition faite par le parti majoritaire (organiser trois débats durant l’entre-deux-tours) joue en faveur de son candidat : elle apparaît comme une nouvelle fausse bonne idée, sortie d’on ne sait où et trouvée par un président sortant aux abois et sans ligne directrice. Ce dernier paraît reproduire tout ce qui lui a valu cette mauvaise deuxième place au premier tour, notamment la révélation d’une nouvelle promesse électorale chaque jour. Les Français semblent lassés de l’hyper-président et sanctionnent pour le moment l’hyper-candidat.

Mais comment se fait-il que Nicolas Sarkozy ait ainsi perdu toutes les qualités et le charisme qui lui avaient permis de triompher il y a cinq ans ? Peut-être parce que 2007 ne constituait pas la règle, mais l’exception. N’oublions pas qu’en dehors de sa victoire contre Ségolène Royal, le président sortant n’a jamais brillé par ses triomphes électoraux : balayé à presque toutes les élections intermédiaires depuis cinq ans (cantonales, régionales, sénatoriales), il a aussi totalement loupé le coche en tant que directeur de la campagne d’Edouard Balladur en 1995. Il y a cinq ans, il avait su se sublimer et profiter à merveille des faiblesses de sa principale adversaire. Mais c’était une situation extraordinaire, au sens où elle était hors de l’ordinaire pour Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais réellement détenu les qualités de stratège qu’on lui a souvent prêtées. Outre son quinquennat plus que contestable dans tous les domaines, c’est la principale raison de son mauvais score au premier tour. S’il peut encore tout changer d’ici à deux semaines, l’hypothèse de sa réélection s’éloigne pour ces raisons et les barons de la droite feraient mieux d’arrêter de chercher de fausses excuses et de débiter leurs sempiternelles critiques sur les pays étrangers (« Oui, mais regardez, Nicolas Sarkozy a mieux tenu que le candidat sortant dans les pays étrangers ! », « C’est la faute à la crise ! »).

Malgré tout, ce deuxième tour n’offre donc aucune surprise dans sa composition : tous les instituts de sondage l’avaient prévu et, pour le moment, l’UMP ne semble pas en mesure de conserver le poste qu’elle détient depuis 1995. Ce qui pouvait étonner ce dimanche, en revanche, c’était l’excellent score de Marine le Pen, qui explosait le record réalisé par son père en 2002, tant en chiffres relatifs qu’absolus et qui, par un jeu de vases communicants, reléguait le Front de Gauche et ses rhéteurs trotskystes de bas étages loin derrière. Surprise, oui et non. N’oublions pas que même si la plupart de nos dirigeants politiques cherchent à nous faire croire que la France a plutôt bien tenu face à la crise (« Regardez, c’est pire en Espagne ou en Grèce ! »), les Français souffrent, et de plus en plus. Or, qu’on le veuille ou non, le Front national est l’un des seuls partis à leur offrir des solutions concrètes et cohérentes, loin de l’européisme béat et niais de la plupart de nos élites. Il est dans ce cadre trop facile de parler de vote contestataire. Bien sûr, Marine le Pen a bénéficié du retour des déçus de Nicolas Sarkozy (qui n’iront donc pas voter en masse pour lui au deuxième tour, selon toute probabilité), mais elle a réussi à créer l’adhésion et l’espoir. Il est scandaleux de parler, comme Eva Joly, de « tache indélébile » concernant les plus de 7 millions d’électeurs qui ont fait confiance dans le Front national. Voilà tout le respect que la gauche bobo accorde donc aux Français : ceux qui osent voter pour cette formation diabolisée constituent une infâme moisissure à éliminer. Que cela plaise ou non, le parti fondé par Jean-Marie le Pen a aujourd’hui les moyens de devenir la première formation d’opposition – ce qu’il entend faire notamment en agissant par tous les moyens possibles pour faire perdre Nicolas Sarkozy et faire exploser la droite parlementaire.

Restent deux scores assez significatifs que j’aimerais commenter, à commencer par celui d’Éva Joly, candidate d’Europe Écologie-Les Verts. Avec à peine plus de 2%, la candidate d’origine norvégienne récolte les mauvais fruits d’une campagne quasi inaudible, où elle n’a jamais su faire preuve de charisme autour de sa personne. Peu lui en chaut, tout comme aux barons de son parti, puisqu’ils ont réussi à négocier un accord plus qu’avantageux avec le Parti socialiste pour les élections législatives, avant même leur premier tour ! Cependant, ce piètre score témoigne clairement de l’effondrement rapide de l’écologie politique en France : le résultat exceptionnel obtenu aux dernières élections européennes n’était clairement qu’un feu de paille, que Nicolas Sarkozy avait su monter en épingle pour affaiblir le Parti socialiste. Mais aujourd’hui, même ce levier semble échapper au président de la République. Plus intéressant, toutefois, est le très mauvais résultat du Mouvement démocratique de François Bayrou, et ce à plus d’un titre. Tout d’abord, le candidat du Béarn est parvenu à faire moins de la moitié de son score de 2007 : 9,13% contre 18,57%, une chute vertigineuse qui s’explique notamment par l’évaporation de l’effet de « nouveauté » dont il avait bénéficié il y a cinq ans. C’est aussi son manque de charisme patent qui a joué en sa défaveur, puisqu’il a été assez inaudible durant cette campagne et le paye au prix fort en termes de place : il est désormais loin d’être le troisième homme et n’est même que cinquième sur la ligne d’arrivée. Est-ce à dire que son avenir politique est bouché ? Nul ne le sait, mais ce qui est certain, c’est que les Français n’ont pas été convaincus par cet homme et ce parti obnubilés par l’austérité (et qui ne semblent donc pas voir les ravages qu’elle fait dans toute l’Europe), l’Allemagne (où les Allemands sont loin de vivre aussi bien qu’on peut le penser) et le « produire français » (invocation quasi magique mais totalement vaine si, comme Bayrou et le MoDem, l’on accepte le cadre européen actuel).

Pourtant, loin de moi l’idée selon laquelle François Hollande et Nicolas Sarkozy auraient une autre vision globale de la France. Avec François Bayrou, ils ont présenté les variations d’un même programme et, au deuxième tour, les Français seront donc face à un non-choix : l’austérité de droite ou l’austérité de gauche. « Da lo mismo que lo mismo da », diraient les Espagnols dans une admirable formule en miroir : c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Le second tour de la présidentielle s’annonce donc comme une défaite caractérisée pour le pays, quel que soit le candidat élu.

Nicolas Klein



Proudly powered by Blogger
Theme: Esquire by Matthew Buchanan.
Converted by LiteThemes.com.